ÇáãÓÇÚÏ ÇáÔÎÕí ÇáÑÞãí

ãÔÇåÏÉ ÇáäÓÎÉ ßÇãáÉ : ÇÔÚÇÑ áÇÈÑÇåíã ÏÑÛæËí / ÊÑÌãÊåÇ Çáì ÇáÝÑäÓíÉ ÝÊÍíÉ ÍíÒã - ÊæäÓ



ÇÈÑÇåíã ÏÑÛæËí
20/12/2006, 08:34 PM
Poèmes
Brahim Darghouthi
Traduits de l arabe par Fathia Hizem



Les oiseaux de l" église :

Je me rappelle encore la première visite à l’église avec ma mère.
Ma tête se remplissait de l’odeur de l’encens,
Des psalmodies des prêtres,
Et des icônes des anges accrochées aux murs.
De petits anges
Des anges orphelins,
Qui avaient des yeux doux,
De petites ailes, jaunes et vertes,
Des anges tristes.
Ils essayaient de se libérer des murs de l’église,
Mais les petites ailes n’y parvenaient pas.
Et ils se trouvaient de nouveau prisonniers.
Je parque la voiture près du petit bâtiment.
Je frappe à la porte ; la porte de l’église protestante
Qui se tient toujours sur la rive ouest de l’avenue Mohamed V à Tunis.
Un vieillard, vêtu d’un costume quelconque, m’ouvrit la porte.
Je regarde la petite croix qui pend sur sa poitrine et son large sourire.
Je lui tends la main.
Il m’ouvre le chemin, très accueillant.
Je pénètre à l’intérieur. Je me dirige vers l’autel, troublée.
Je m’arrête devant Jésus crucifié pour expier les péchés de l’humanité.
Je bredouille :
-- Je suis la fille de la Française, me reconnaissez-vous ?
Je me retourne. Le prêtre est derrière moi.
Il pose doucement sa main sur mon épaule et dit :
Ne désespère pas de la miséricorde divine.
Aime ton prochain et compte sur notre père qui est aux cieux.
Tu ne le regretteras pas.
Il me laisse plantée là et il s’en va.
Maman a toujours fait ses prières.
Mon père ne l’a jamais contrariée dans sa pratique religieuse.
Elle non plus, n’a jamais essayé de nous convertir.
Nous avions toujours mené une belle vie, paisible.
Nous avions grandi entre un dieu dont on buvait le sang en bon vin,
Et un dieu dont on mangeait la chair les jours de fête.
Je me retourne à la recherche du prêtre.
Mes yeux rencontrent les petits oiseaux accrochés aux murs.
Je m’approche pour mieux les contempler.
Ils disparaissent dans l’obscurité.





Calligrammes solaires.

C’est avec des pierres
Qu’ils écrivent
C’est avec le sang du martyr
Qu’ils écrivent
Sur le flanc du soleil.
…Jamais, la pierre ne tombera.

L’aube commence à paraître
Et la nuit va disparaître.
Vous avez beau bombarder
Nos cœurs
Vous avez beau détruire
Nos maisons
Vous avez beau brûler
Nos enfants
Vous n’ébranlerez pas
Nos âmes.
…Jamais, la pierre ne tombera.

Des décombres de nos villages,
Nous lancerons des pierres.
Des tombeaux de nos oncles,
Les pierres se feront tempête.
De la profondeur de notre blessure,
De chaque rue,
De chaque quartier,
Un épouvantail surgira,
Et détruira vos âmes mercenaires.

Nous sommes là
Sur notre terre.
Nous y resterons.

Au fond du cœur,
Nous ensevelirons nos martyrs
Nos drapeaux s’élèveront tel un phare
Et sur le flanc du soleil
Nous écrirons
Jamais
la pierre
ne tombera.


Je n’ai pas peur.

Si on te disait :
Derrière une porte
Se tient Masrour* le bourreau
Aurais-tu peur ?
Si on te disait :
Les amis sont partis
Passés dans l’oubli.
La chaise du café,
Tu t’en souviens ?
Et les habitués du café,
Tu te rappelles ?
Tes amantes, sont aujourd’hui
Etrangères.
Elles ne sont plus que mirage.
Tes compagnons ont
Emprunté une voie inconnue.
Aurais-tu peur ?
Si on te disait :
Derrière la porte, Il y a
Des scorpions,
Des renards,
Des loups,
Des chiens,
Et des chiens.
Et des chiens qui ont pissé sur toutes les normes.
Dis-moi :
Aurais-tu peur ?
Aurais-tu peur ?

Si l’on te disait :
Derrière la porte
Se tient Masrour le bourreau,
Dis-moi
Camarade :
Je n’ai pas peur
Je
n’ai
pas
peur

* Masrour : C’est le bourreau des Mille et une nuit




Espérance.

Si j’avais un cœur
Aussi grand que les océans lointains
Je le remplirai
De fleurs et de roses,
De gazouillis d’oiseaux heureux
Et l’aurais partagé en deux
Une moitié pour le martyr
L’autre moitié pour la martyre.

Si j’avais la dot des lustres célestes
Si j’avais la boucle des belles pommettes,
J’achèterais
Le soleil
La lune
Et les étoiles
J’achèterais
Des passeports
Des fusils
Des fusils
Et encore des fusils,
Et des pierres aussi ;

Si j’avais le glaive de Antar*,
Si j’avais un million de poignards,
J’égorgerais le tortionnaire de ma patrie
Mille fois.
Je l’enterrerais dans un minuscule trou
Sur lequel j’écrirais en lettres de feu :
Ci-gît mon ennemi,
Et il y restera pour l’éternité


* Antar :cavalier et poète arabe réputé pour son courage légendaire




Le sang de papa.

Le panier lui échappe des mains
Son cœur dégringole sur le pavé
Le panier tombe
Il y a trois bouteilles vertes
Le liquide jaune se répand sur le pavé
L’enfant s’arrête, épouvanté.
Il se jette sur ses genoux.
Il ramasse les débris de verre.
Une mousse blanche monte.
Lesmouchess’approchent
L’enfant construit un barrage de terre.
Derrière, le liquide se rassemble.
L’enfant pose ses bras sur le sol
-- Combien ils étaient maigres --
Appuyé sur ses bras,
Il ramasse les débris,
Il essaie de fabriquer de nouvelles bouteilles.
Pourquoi ne le ferait-il pas ?
Le sang coule
Il coule sur l’asphalte
Il met sa main droite
Puis sa main gauche,
Ensuite la droite
Et encore la gauche.
Puis les deux.
Il se relève sur ses genoux.
Il appelle :
Donnez-moi…
(Il ne sait pas quoi demander)
…Pour ramasser le sang de papa.




Les chats qui volaient les lapins, la nuit.

Je sens ses pas lestes sur le toit.
Je vois son ombre allongée se dessiner sur le mur d’en face.
Je vais vers lui ; une pierre à la main, des injures et de la vigilance.
Il m’accueille sur le rebord du mur,
En miaulant.
Je lance une pierre contre lui.
Je vais inspecter les lapins.
Au cri, je saute du lit et je sors pieds nus.
Je suis d’abord poignardé par le froid de la nuit
Deux fois poignardé par l’appel au secours des lapins.
Je vois l’ombre du chat, longue, contre le mur des voisins.
Il s’immobilise.
Me regarde, confiant et dit :
Je t’avais bien dit que je reviendrais quand tu te seras endormi.
Je retourne chez moi, allume la lampe accrochée au plafond.
J’ouvre la fenêtre
J’aiguise mon couteau sur le rebord de la fenêtre,
J’ouvre ma plaie cicatrisée
Et,
J’écris avec mon sang sur le rebord de la fenêtre :
Les chats volent les lapins, la nuit. N’est ce pas ?